La guerre de 1914/1918 est venue interrompre les combats laïques de la Loge « La Cosmopolite » qui a payé un lourd tribut à ce terrible conflit.
Dès 1914, le 12 décembre en Meurthe et Moselle, le premier tué fut le Frère Bardiaux Jean, instituteur, initié le 5 juin1909.
Le second, le 17 décembre 1914 dans la Somme, le Frère Blanc Charles, électricien, initié le 6 juillet1912.
Le troisième, le 24 janvier 1915 dans l’Aisne, le Frère Lacarin Gilbert Gabriel, initié le 3 janvier 1907, architecte de profession. Il était le père du docteur Jacques Lacarin, ancien maire de Vichy. La guerre et son cortège de souffrances étaient aussi passés sur notre Atelier.
L’épitaphe sur le livre de Loge fut rédigé ainsi: «Morts pour la Patrie, campagne contre l'Allemagne. Maçons exemplaires, Fraternellement dévoués à leurs Frères en général et à la Franc-Maçonnerie en particulier. Honorons leur mémoire : gémissons, gémissons, gémissons ».
L'après guerre a réveillé à nouveau la vigilance laïque ; la Loge s'est élevée contre la reprise des relations avec le Vatican, ainsi qu'en 1926 l'annonce de révision de la loi sur les congrégations religieuses qui aurait fait courir les plus graves dangers aux institutions républicaines et laïques.
Les préoccupations de cet ordre trouvèrent un nouvel élan après la guerre de 1914-1918; avec comme planches : l'organisation du travail, la journée de huit heures. En janvier 1925, le Frère Provandier prend la parole pour souhaiter que « le bonnet de la République soit de plus en plus rouge ».
En 1926, venaient en question: « Le capital est-il viable » ? La société de demain, vers quelle forme elle évolue et comment aider à son évolution ? Une conférence sur la « Philosophie communiste » accompagnait cette planche. En 1927, il était traité du « Communisme et la Maçonnerie » un Frère protestant contre l'apologie du communisme et la même année : « La solidarité, base de la morale ».
En janvier 1926, le Vénérable était chargé de représenter la Loge au comité local antifasciste qui se constituait avec des groupements à Vichy, Cusset et Bellerive. Une manifestation était prévue pour le 23 mars à Bellerive. L'Atelier donna son accord pour y participer.
A la même période, des Frères visiteurs prirent la parole, l'un d'eux indiquant que la Franc-Maçonnerie se devait de sortir de ses Temples pour faire entendre la voix de la démocratie et de la paix.
En juillet, le Frère Félicien Court, ancien membre du Conseil de l'Ordre, incitait à veiller et à dresser barrière contre toute dictature.
Le 11 juillet 1933, un Frère visiteur, le Frère Possi, posait une question : la Franc-Maçonnerie doit-elle s'occuper de politique dans les Loges ? Pour répondre immédiatement : Non, si s'en occuper est en contradiction avec l'article 10 du R.G. mais au contraire Oui, si cela contribue à la défense de la République.
Mais bientôt allait apparaître une nouvelle préoccupation : la lutte contre le fascisme naissant.
La Loge « La Cosmopolite » est au premier rang des manifestations antifascistes, au comité de vigilance du 12 février 1934, présidé par le Frère Bourgougnon; en juillet 1935, au Rassemblement Républicain et au Comité de Rassemblement Populaire en 1936.
Dans le monde, on notait des évènements importants. En 1925, en Syrie, au Maroc, en Indochine; en 1927, aux Colonies, préconisant l'autonomie assortie de relations intelligentes et démocratiques avec la Métropole; les dettes envers les Etats-Unis. De 1931 à 1935, en Allemagne,en Espagne, aux Etats-Unis, en Italie, au Japon, en Roumanie, dans la Sarre, en Union Soviétique, autant d’occasions de voyages ouvrant des horizons propres à réfléchir.
Davantage que ses soeurs montluçonnaise et moulinoise, la Loge de Vichy devait à sa position d'être en quelque sorte « déprovincialisée ». Nombre de « visiteurs » venaient sur ses « colonnes » chaque
année, apportant des échos d'ailleurs, des idées générales inhabituelles et tout naturellement des regains d'intérêt pour ses fidèles.
Extrait du procès verbal de la Tenue du 6 février 1926 :
.../ Le Frère orateur lit ensuite une planche du GO ayant trait à l’organisation et à la propagande des ligues fascistes dans le pays et des voeux de différentes Loges proposant pour la plupart une action énergique en sens inverse de la part du Grand Orient De France.
A ce sujet, le Frère Cournol insiste sur la constitution de groupements antifascistes à Vichy, Cusset et Bellerive.
Le Frère orateur demande aussi à créer des comités de vigilance en donnant comme exemple la ville de Thiers. Il insiste pour que ces comités soient constitués par des groupements d’avant-garde.
Après quelques échanges de vues par les Frères Burlot, Cournol, Deprin, quelques dirigeants de comités locaux et des environs seront consultés pour des décisions à prendre. /…
La Loge eut aussi ses problèmes de déontologie. Intransigeante sur la probité… En 1934/1935, profondément indignée et attristée de voir des Maçons mêlés aux scandales politico-financiers : affaire Oustric, affaire Stavisky, elle soulignait la nécessité d'une épuration de l'Ordre elle indiquait son souci d'améliorer le recrutement en privilégiant la qualité du profane plutôt que le nombre. et un Frère posait la question: « L'évolution politique est-elle morale? »
Pour son propre compte, elle liquidait quatorze démissions, prononçait onze radiations et proclamait, le 2 janvier 1935 : « Le Maçon doit, si l'on peut dire, être la quintessence de l'humanité ». Autres temps, autres moeurs !
Parmi les Vénérables qui se sont succédés à la direction de la Loge « La Cosmopolite », remarquons Paul Patrice, dont l'autorité qu'il avait acquise fut sans aucun doute facteur d'équilibre pour la Loge entre 1919 et 1933 (année de son décès).
Ayant créé en 1904 la Grande Pharmacie du Parc (elle se situe toujours rue Wilson à côté de l'ex hôtel Carlton), il s'était peu à peu inséré dans la vie locale au point de passer pour le deus ex-machina de la politique vichyssoise (dans la rumeur de l'opinion publique depuis les élections municipales de 1912, qui avait vu triompher une liste de représentation proportionnelle allant des socialistes à la droite, et sur laquelle plusieurs Francs-Maçons dont lui même furent élus) ; cette appellation était sans aucun doute bien exagéré !
Le renom de la Loge dû à la qualité des Frères et aux travaux présentés, lui avait valu en octobre 1922 de se voir décerner par « le Grand Collège des Rites » les lettres capitulaires l'autorisant à créer un Atelier de hauts grades sous le titre « La Cosmopolite Chapitre de la Vallée de Vichy ». L'Atelier avait voulu marquer sa reconnaissance au Frère Patrice par une grandiose cérémonie maçonnique, le 9 août 1932, avec une « Colonne d'harmonie » tenue par les Frères musiciens sous la direction du Maître Bastide, chef d'orchestre du Grand Casino, précédant et suivant la remise de son buste, dû au Frère Setta (affilié à la Loge « La Cosmopolite » en juillet 1930) , sculpteur au talent reconnu à l'époque !
Six mois plus tard le vénérable Patrice passait à l'Orient Eternel laissant La Cosmopolite dans le désarroi et ouvrant une période de difficultés. Le compte rendu de la Tenue extraordinaire du 3 février 1934 relate les mesures prises pour faire face à cette situation en adoptant les résolutions suivantes:
1 - Que les travaux effectués en 1931 soient vérifiés avec les mémoires que le Frère Louis Patrice n’a pas manqué de trouver dans le coffre de son frère.
2 - Que toutes les archives maçonniques qui sont la propriété de la Loge et qui étaient dans le coffre du Vénérable Paul Patrice soient remises au Vénérable Dufraisse.
3 - Que soit également remis au Vénérable la liste nominative des actions abandonnées ou remises à titre gracieux depuis le 30 octobre 1920.
4 - Qu’afin d’éviter à l’avenir de retomber dans des errements néfastes aux intérets de la Loge, un examen approfondi et judicieux soit fait de l’emploi des fonds depuis dix ans et qu’un rapport circonstancié soit établi pour les deux sociétés, Loges et Société Civile.
Les Frères dans la Cité
Quelques Frères avaient adhéré au Parti Communiste. En 1922, celui-ci les mit en demeure de choisir; Émile Bourgougnon, qui avait été candidat socialiste aux élections législatives de 1919, et Francis Prost préférèrent rester dans l'Atelier.
Vingt ans plus tard, en décembre 1923, l'on évoquait la situation politique en Allier: les renouvellements de l'immédiat après-guerre s'étaient traduits par autant de succès de la Concentration Républicaine Antisocialiste ; le Frère Bourgougnon, rapporteur, conclut que les parlementaires Francs-Maçons devaient rompre avec la politique du « Bloc National » qui allait des modérés aux radicaux, ou quitter l'Ordre.
En mars 1924, nouveau débat en présence du Frère visiteur Gaston Vidal, ancien sous-secrétaire d'Etat et député sortant; le Vénérable l'assurant de l'appui de toutes les voix maçonniques, ce qui n'était pas du tout certain ! Début avril, il était préconisé une conduite commune des trois Loges, les Frères candidats invités à préciser leur position; seul vint le député Charles Péronnet. Le scrutin législatif ayant été favorable à la gauche l'on tira une « batterie d'allégresse » en faveur des élus, parmi lesquels le Frère Alexandre Puechmaille, Inspecteur de l'enseignement primaire. Le débat électoral revenait au cours de la tenue d'août 1931 pour commenter l'échec gouvernemental du cartel des gauches, et en rechercher les causes dans les mésententes entre socialistes et radicaux. Mêmes propos, en juillet 1932, touchant le récent renouvellement législatif. Auparavant, il avait été émis le voeu de la création dans chaque département d'un comité intersyndical d'unité, destiné à préparer une confédération unique des travailleurs. Ainsi se confirmait l'influence accrue dans la Loge de Frères que l'on pouvait situer à gauche de la gauche.