On ne sait que peu de choses de la vie de l'Atelier durant les deux premières décennies. Son premier initié le 6 novembre 1869 est un artiste dramatique du nom de Lagneau André venant de Paris, le second initié en date du 18 novembre 1869 est un vitrier nommé Antoine Simoni, âgé de quarante deux ans et originaire du Tessin.
La Loge « La Cosmopolite » commençait à affirmer son nom!
Le premier initié resta en sommeil de 1871 à 1892 puis il s’affilia à Paris, mais durant toute cette période il est conservé en qualité de membre actif non cotisant en vue d’une représentation éventuelle au Convent.
Autre curiosité, un Frère chef de cuisine, né dans la Drôme et qui s'appelait Gras, se prénommait « Ledru Rollin ».
Notre Frère Borrely, fondateur de l'Atelier et toujours assidu, reçut en grande pompe, en 1885, pour service rendu, la Médaille d'Argent du Grand Orient de France, il passa à l'Orient éternel en 1901.
Le 26 mars 1888, le Frère Bouchacourt décéde, il est enterré civilement et maçonniquement et légue à l'atelier une somme de 1.000 Francs.
En 1895, un autre Frère fondateur, le Frère Maridet décéde en léguant à « La Cosmopolite » son mobilier maçonnique ainsi qu'une somme de 500 Francs.
En compulsant les comptes-rendus de l'époque, on relève une pratique de 1875 à 1885, qui peut paraître actuellement étrange, les augmentations de salaire aux grades de compagnons et de maîtres sont délivrés le même jour au frère impétrant ! Cela semblerait dire, par analyse intuitive, que le rituel de compagnon était à l'époque peu pris au sérieux.
La loge, attachant un intérêt particulier à l'enseignement, avait décidé, en 1890, d'offrir des prix aux élèves des écoles laïques de Vichy, sous forme de livrets de Caisse d'Epargne, portant mention du donateur.
La même année, elle obtient aux même fins du frère Leon Bourgeois, ministre de l'Instruction Publique, quatre volumes à offrir. Elle accueille ce don par « une triple et chaleureuse batterie».
« La Cosmopolite » avait un attachement particulier à l'école Carnot, considérée comme son oeuvre, obtenant la promotion de celle-ci en primaire supérieure et professionnelle, dont le Ministre lui donna confirmation.
Sa préoccupation laïque la conduisait :
- Le 8 avril 1899, à demander l'interdiction d'enseigner aux membres des congrégations religieuses.
- A dénoncer en juin la directrice de l'école Sévigné qui recommandait la lecture du journal « La Croix» et faisait dire des messes pour le succès de ses élèves au Certificat d'Etudes.
- L'année suivante, cette directrice, toujours en place, soulevait l'indignation des Frères en faisant réciter les prières en début et en fin de classe.
- En 1901 venait l'abrogation de la loi Falloux donnant monopole à l'Etat des enseignements primaire et secondaire.
- En 1902 était demandé le retrait du Manuel de Morale de Charles Dupuy, à cause de certains passages traitant de Dieu.
L'année suivante, l'on réclamait le retrait de tous les livres scolaires diffusant des formules et idées inadmissibles, tandis que la Loge achetait des exemplaires de l'ouvrage « le Bon Dieu laïque » pour distribuer aux instituteurs du canton.
- Irritations et protestations aussi quand l'on apprenait que le Principal du collège de Cusset faisait faire « maigre » à ses élèves le vendredi et envoyait à la messe un élève malgré la volonté des parents.
L'anticléricalisme allait de soi, mettant en émoi l’Atelier ; dans le courant de septembre 1891, à la suite d'une intervention du Frère visiteur Deschamp, Vénérable de la Loge « les Hospitaliers de la Palestine », persistant à faire l'apologie de l'éducation chez les jésuites ! Mais en décembre était votée une adresse de félicitations au Frère Floquet, Président de la Chambre des Députés qui dans une discussion avait affirmé sa qualité de Franc-Maçon et tenu haut et ferme le drapeau du Grand Orient et de la République.
En 1902, « La Cosmopolite » émettait le voeu d'interdire aux officiants de tous les cultes de donner l'instruction religieuse aux enfants sans l'autorisation expresse du père et de la mère.
Les lois votées par le bloc républicain au début du siècle allaient rejoindre pour une part importante les voeux maçonniques.
Le renom international de Vichy, les activités de loisirs et la présence d'artistes Francs-Maçons, pendant la saison avaient durant un temps orienté une part des travaux de « La Cosmopolite» vers des sujets plus culturels. En septembre 1901 un Frère présentait une planche sur Tolstoï, un autre déclamait en Loge le troisième acte du « Danton » de Romain Rolland. En juin 1902 eut lieu une planche sur les volcans d'Auvergne, l'Orateur mettait en doute qu'ils puissent un jour se réveiller. Un voeu fut émis pour la création d'une Université populaire à Vichy.
En septembre 1902 est présenté une planche sur la vie et l’oeuvre de Dostoïevski. En 1912 l'Atelier accueille pendant la saison: cinq Suisses, deux Anglais, un Australien,un Serbe, trois Américains, deux Allemands et de nombreux Frères coloniaux civils et militaires.
A cette époque, la Maçonnerie était vraiment universelle et il n'y avait pas les clivages que nous connaissons aujourd'hui.
-En juin 1885 elle envoyait une délégation aux obsèques de Victor Hugo.
-En 1898 elle se faisait officiellement représenter aux obsèques du maire Socialiste de Montluçon Jean Dormoy.
Les questions sociales et la vie politique : préoccupations première des Frères
En 1898 la loge débat sur « Socialisme et Collectivisme ».
En 1899, collecte de fonds pour le « Journal du Peuple » de Sébastien Faure.
En 1900, planche sur l'alcoolisme et les moyens de l'enrayer.
En 1901, planche sur le droit de grève et les moyens pour régler les conflits entre patrons et ouvriers par l'arbitrage. Un Frère traitait de la nécessité d'introduire le système collectiviste dans la société moderne, planche qui ne fit point l'unanimité, un autre approuvant le collectivisme mais rejetant le communisme; il est fait une collecte pour les grévistes de Saint-Eloy-les-mines.
Voici une listes des sujets traités :
- La lutte contre la tuberculose par la création de sanatorium.
- Contre la dépopulation en France par notamment la réhabilitation des filles-mères et l'aide à celles-ci
- La réforme de la Justice.
- Le développement des Coopératives
- La lutte contre la prostitution.
- l'interdiction du mariage des tuberculeux et des syphilitiques dangereux pour le conjoint.
- Le contrôle et la réhabilitation des logements malsains.
- les moyens susceptibles d'assurer l'exploitation des monopoles à créer par les travailleurs eux-mêmes sous forme d'association de producteurs, en attendant la socialisation des moyens de production et d'échange.
- La garantie de l'emploi.
- l'élévation du salaire de l'ouvrier
- Les rapports entre le travail et le capital.
- La participation des ouvriers aux bénéfices.
- Le pain gratuit pour les plus démunis.
En avril 1898, on examinait les candidatures politiques à recommander pour les prochaines élections.
En mai, une « batterie » est tirée pour saluer les résultats des élections législatives dans l'arrondissement.
En 1899, c'était une « triple et chaleureuse batterie » qui accueille la belle majorité obtenue par le ministre de la Défense Républicaine que la Maçonnerie avait encouragé et on lui demande de venir en aide aux Républiques Sud-Africaines attaquées par l'Angleterre.
En 1900, un Frère demande que l'on prépare les élections municipales. La curieuse décision de prêter le Temple pour accueillir le Comité Républicain dans ses réunions d'été souleva quelques remous, si bien qu'en mars et juin 1901, celui-ci fut invité à chercher ailleurs.
Cette même année l'on traitait de la réorganisation du Parti Républicain en France et une invitation du Comité d'Action Républicaine en vue des élections législatives de 1902 était acceptée avec voeu que soit également convié le parti purement socialiste étayant pour base le programme d'action socialiste et qu'à la mention des groupes radicaux l'on ajoutât « socialistes» ; deux Membres sont désignés pour le Congrès de Paris. En août était réclamé le mandat impératif, qui « seul fondera la République », pour les élus; en novembre la loge envisageait son adhésion au Parti Républicain radical et Radical socialiste; mais, en décembre, un frère rappelait l'article 15 des Constitutions interdisant « tous débats sur les actes de l'autorité civile et toute intervention maçonnique dans les luttes des partis politiques ».
Ce qui n'empêchait pas, le 15 février 1902, le Vénérable de donner connaissance d'une « communication intéressante » du Comité exécutif du Parti Républicain radical et Radical socialiste, en vue des élections et obtenir approbation de sa réponse. Le scrutin passé, l'on émet le voeu que le Gouvernement « mette à la retraite d'office ou révoque purement et simplement les fonctionnaires qui l'avaient combattu alors qu'ils eussent dû le soutenir...»
En juillet et septembre, un Frère est désigné pour représenter officiellement la Loge au Congrès radical-socialiste de Lyon; au retour, le Frère Givois, Conseiller Général, fait savoir qu'il y avait reçu un excellent accueil.
En mars 1903, une « batterie » félicitait le Frère Marcel Régnier de son élection comme député de Lapalisse et en avril la loge confirmait sa cotisation au Parti Républicain radical et radical socialiste.
En mai, on envoyait un délégué à la Conférence de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen.
En juin, deux autres au Congrès Radical Socialiste de Marseille. Un Frère faisait observer que l'on était en contravention avec les directives du Conseil de l'Ordre interdisant l'adhésion à des groupements politiques, mais sa remarque n'eut apparemment pas d'écho.
La Cosmopolite avait nettement choisi de se comporter en filiale du Parti de sa préférence, ce qui dans le cours de 1902 souleva dans la cité une violente réaction du groupe d'Etudes Sociales et Collectiviste de Vichy !
Petits drames intérieurs
La perfection souhaitée n'était point toujours atteinte, la Loge a aussi ses problèmes de déontologie. Intransigeante sur la probité, elle doit radier ou sanctionner plusieurs Frères.
En 1884, l'ancien député Victor Cornil.
En 1886, le Vénérable Wallon et le fils de ce dernier se faisaient radier pour défaut de cotisation.
En 1889 un Frère qui avait indûment fait escompter un effet de commerce par un profane.
En 1890, une discussion entre le Vénérable et un Frère de l'atelier dégénérait en un copieux échange d'injures, dont un Frère visiteur préféra, en couvrant le temple, ne pas être témoin.
En 1892, sur une demande d'admission, quatre Frères se retiraient avec annonce de démission verbale, heureusement non confirmée.
En 1900, l'ancien Vénérable Millet-Lacombe qui s'était déjà plaint de ne pas être reçu avec assez d'honneur, interpellait un autre Frère qui lui refusait l'accolade.
En 1901 le Frère Millet, pharmacien, se plaignait que le Frère Ferdinand Desbrest, également pharmacien, cherchait à le diffamer et à lui porter préjudice. Le Frère Baratier se faisait rappeler à plus d'assiduité, sa qualité d'adjoint au maire ne le dispensant pas de fréquenter la Loge et de prendre part aux discussions politiques traitées par l'Atelier.
En 1903, nouvel incident à la suite duquel le Frère Givois annonçait sa démission de sa charge de Conseiller Général. Elle ajournait aussi la demande d'admission d'un croupier « parce qu'il n'a pas de moyen d'existence avouable »
Généralement de bons offices ramenaient la tranquillité dans la Loge ; mais c'était tout de même désagréable! Les susceptibilités iraient plus tard s'apaisant …
Les Frères dans la cité
Ses membres, sauf Armand Wallon, n’apparaissent point se manifester lors des événements civiques qui accompagnent la fin du Second Empire: plébiscite de mai 1870 ; élections cantonales d'août 1870 où était candidat et élu au Conseil Général pour le canton de Cusset le Frère Victor Cornil. Il en est de même pour les débuts de la IIIe République. L'éveil ostensible de l'Atelier aux idées républicaines semble s'être fait jour avec la venue d'un Frère, médecin de la banlieue parisienne, le docteur Lugagne, adjoint au maire de Pantin depuis 1871, connu pour ses opinions de gauche, qui souffrant du foie s'établit à Vichy en 1875 afin de soigner plus commodément son propre foie.
En 1878 il engage un combat véhément contre l'administration républicaine modérée. Il entre en janvier au Conseil Municipal de Vichy. Entre temps la mairie est devenue ingouvernable. Les élections complémentaires de septembre, octobre lui sont favorables grâce à un nombre considérable d'abstentions. Mais il est en réalité minoritaire devant le corps électoral et élu comme maire avec seulement une voix de majorité (accompagné des frères Saugère et Maridet-Chacot).
« La Cosmopolite » détient pour la première fois la mairie de Vichy
Celle-ci demeurant tout aussi ingouvernable, une partie des colistiers de Lugagne ne tardent pas à l'abandonner et le 17 mai 1879 était pris le décret portant dissolution du Conseil Municipal. Une liste « contre l'étranger» l'emporte sans conteste.
Le Frère Lugagne n'allait plus se consacrer dorénavant qu'à ses activités professionnelles, créant un établissement thermal réputé, jusqu'à ce que - comble de malchance - il mourut d'une crise hépatique !
Suite aux événements et à la gabegie municipale du Frère Lugagne, le crédit de « La Cosmopolite » était atteint dans la cité et celle-ci mit du temps à s'en remettre.
Néanmoins, avec le temps, elle a donné un autre maire à Vichy, le pharmacien Ferdinand Desbrest, de 1893 à 1900. Celui-ci siégeait également au Conseil d'Arrondissement de Lapalisse.
Neuf ans plus tard, le Frère Eguillon, adjoint au Maire de Vichy, qui en 1900 venait de faire voter l'interdiction des processions sur le territoire de la commune, se voyait à son tour chaudement félicité par l'Atelier. La même année, notre frère, le Conseiller Général Givois demandait que toutes les municipalités républicaines interdisent le port en public de la soutane afin de tracasser le prêtre, « ennemi du progrès ».
Dans le courant de cette même année, les obsèques du Frère Charpin à Chantelle avaient donné lieu à une importante manifestation anticléricale ponctuée d'un incident : Madame Labussière, épouse de l'ancien député de Gannat ayant, au moment où le convoi funèbre passait devant sa fenêtre, ostensiblement tiré la langue et fait un pied de nez au cercueil !
En 1903, le Frère Tholy, dans une planche retraçait la lutte de l'homme noir (le prêtre) contre l'homme de progrès (l'instituteur) et le Frère Eguillon, adjoint au maire, faisait procéder à la laïcisation du personnel de l'hôpital, tandis qu'était souhaitée la séparation de l'Église et de l'État assortie de l'enlèvement des emblèmes religieux de tous les lieux publics, une démarche pour la fermeture d'une chapelle servie par les Lazaristes se trouva aussitôt satisfaite.