La Loge « Union et Solidarité » participe pour la première fois au Convent du Grand Orient de France de 1890 et son représentant le Vénérable Deslinières vote, le 13 septembre la motion suivante : « L’Assemblée invite le Conseil de l’Ordre de mettre en œuvre la justice maçonnique pour exclure de la Franc-Maçonnerie ceux qui ont coopéré à la direction du mouvement que l’histoire flétrira sous le nom de Boulangisme, et principalement la Loge « La République Démocratique » et son vénérable, tous les frères députés et sénateurs qui ont donné leur nom aux comités boulangistes ».
La Loge a rapidement une influence sur la vie démocratique locale : 13 Frères furent maires de leur communes, dont 3 dans la commune de Doyet ; deux furent députés : Paul Constans et Etienne Lamoureux ; et deux furent sénateurs : Michel Boissier et Louis Alfred Grand. En juin 1901, les obsèques du Frère Pierre Dubreuil, ancien maire de Doyet réunissent toute la population de la commune et 150 Francs-maçons venus de Moulins, Vichy, Montluçon, Saint-Amand-Montrond et Gannat.
A cette époque le combat contre l’Église et le parti clérical est âpre et réclame des efforts et la vigilance de chaque instant. Depuis la chute de l’Empire deux conceptions s’opposent : la première, conservatrice, puise sa force dans le grand patronat, la noblesse et la grande bourgeoisie; la seconde, progressiste et républicaine, tire sa légitimité du peuple et rêve d’instaurer un régime démocratique. Une anecdote illustre le fossé qui sépare les deux camps. Le Frère Louis Paul Levistre, voyageur de commerce, initié le 20 février 1893 avait fourni un extrait de casier judiciaire portant une condamnation de 16 francs d’amende sanctionnant la participation à une rixe. En fait il avait dû se défendre contre trois jeunes gens qui tentaient, le 14 juillet, de l’empêcher de chanter la Marseillaise.
Dans sa séance du 21 février 1891 la loge étudie la possibilité de réunir un congrès maçonnique départemental qui regrouperait l’ensemble des Frères des Loges en vue d’examiner la façon dont la Franc-maçonnerie pourrait être implantée dans chaque commune.
Une sombre histoire de violation du secret maçonnique va secouer la loge. Le 8 février 1892 paraissait pour la première fois un journal intitulé « Le Petit Montluçonnais » portant la manchette suivante : Journal Républicain, Socialiste. Ce journal avait été créé par une décision de la loge à la suite de la lecture au Convent du rapport de la commission de la propagande souhaitant voir se matérialiser les moyens de propagation des idées de la maçonnerie. Animé par Paul Constans, sa rédaction etait confiée à des frères sous la direction d’un rédacteur en chef Franc-maçon.
Or un frère journaliste annonçe en juillet 1892 que la demande d’initiation du profane Alexandre Gilbert Dumas, député de l’Allier, avait été ajournée par la Loge parisienne «La Clémente Amitié». Les journaux régionaux reprennent cet avis en le commentant. Le Centre ironisait: «On comprend ce que, en langage maçonnique, signifie le mot ajourné. Sans être initié au mystère du patois maçonnique, nous croyons comprendre qu’ajourné veut dire blackboulé. L’anticléricalisme de Monsieur Dumas a paru de date trop récente aux prétrophobes de la Franc Maçonnerie. On rira bien de la déconvenue de l’ancien élève d’Ajain. Mais aussi qu’allait il faire dans cette galère?».
Il est plaisant de constater que, pour expliquer une locution maçonnique, le journaliste, ironique, mais peu instruit des origines des mots employés, utilise blackboulé qui a trouvé toute sa force grâce… à la Franc-Maçonnerie.
A la suite de ces parutions, le profane Dumas s’expliquait avec le Vénérable Maître Deslinières en présence du frère Philippe BARDET, secrétaire de la Sous-préfecture de Montluçon. Il lui affirmait connaître tout ce qui avait été dit sur son compte lors de la tenue de la Loge «La Clémente Amitié» du 6 juillet 1892. Après bien des remous et des correspondances nombreuses entre la loge et le Grand Orient de France, d’une part, entre la loge et le frère Louis Billaud, Vénérable de la Loge «Équerre» de Moulins, chargé par le Conseil de l’Ordre de tirer cette affaire au clair, d’autre part, tout se terminera sans que personne ne connaisse réellement d’où provenaient ces indiscrétions.
Le 7 décembre 1892, la loge décide d’organiser en janvier 1893, pour la première fête solsticiale de la maçonnerie montluçonnaise, un banquet auquel peuvent participer les dames et les profanes amis des membres de la loge.
Le 5 mai 1893, la loge organise son premier congrès des loges du Centre dont l’ordre du Jour comportait, entre autre, la discussion sur les sujets suivants:
De la propriété et de ses formes,
Les Chemins de Fer,
Le rapport du capital et du travail,
Le monopole des fabriques d’Église,
La définition du socialisme,
Le dépôt d’un testament philosophique pour tout nouvel initié,
La création des hôpitaux,
La journée légale de huit heures,
L’organisation des Caisses Ouvrières de retraite,
La réforme de la Magistrature.
L’année 1893 est marquée par un différend entre les Frères au sujet de l’initiation du profane Jules Jouhet. Après une médiation entreprise par le Frère Louis Billaud, Vénérable de la Loge «Équerre» à Moulins, la Loge initie le profane Jules Jouhet et les frères démissionnaires retirent leur demande.
Le 11 mars 1894, la fête solsticiale est précédée d’une conférence publique faite au théâtre de Montluçon par le frère Bonnet, publiciste, ayant pour titre: «Socialistes et gouvernementaux en 1894».
Le 21 avril 1894, l’ordre du Jour de la tenue indique que l’Atelier se prononcerait sur la situation morale, et sur une éventuelle mise en sommeil de la Loge. De cette discussion, il ressort que la réunion du premier samedi serait remplacée par une tenue de comité à laquelle serait dispensés les frères éloignés de Montluçon. Cette tenue de comité serait suivie de la réunion des diverses commissions de l’Atelier :
Commission d’initiation et d’études,
Commission des finances,
Commission de bienfaisance.
Mais le ver était dans le fruit, les dissensions demeuraient, et le 24 avril 1895 le Vénérable René Larminat interroge le Conseil de l’Ordre sur la marche à suivre pour régler le problème posé par la présence dans la loge d’une fraction républicaine et radicale, opposée à celle des collectivistes.
La situation se dégrade au point que le 15 avril 1898, le Secrétaire écrit au Grand Orient de France pour lui faire connaître l’état financier déplorable dans lequel se trouvait l’Atelier. Les frères n’assistaient plus aux tenues au point qu’aucune décision ne put être prise par manque de quorum, alors que 82 frères étaient inscrits au tableau de la Loge.
Dans ses séances des 28 mai 1898 et 21 janvier 1899, la loge prononçe 14 radiations pour défaut de paiement, et 4 exeat gratuits pour les frères Lucien Deslinières, Jacques Verge, Antoine Debesson et Jules Jouhet inculpés dans l’affaire des machines à coudre. Deux frères débiteurs étaient décédés entre temps. Ainsi ne subsistaient plus que 62 frères dont seulement 47 étaient en règle avec le Trésor.
A la suite de l’élection en qualité Vénérable du frère Philippe Bardet, entachée d’irrégularité, car il n’avait pas assez d’ancienneté au grade de Maître, le Grand Orient de France délégue le Frère Auguste Bourceret pour procéder à l’inspection de la Loge.
Une intervention du frère Paul Constans auprès du frère Arthur Mille tendait à faire mettre l’Atelier en sommeil. Il semble que c’est de ce moment que date l’éloignement de Paul Constans de la Franc-Maçonnerie, et qui conduira à son départ en 1903.»