En 1901, la lutte entre Collectivistes et Républicains radicaux faisait toujours rage, et les départs succédaient aux radiations. Pourtant les Frères qui fréquentaient les colonnes continuaient à travailler.
Le 20 octobre 1900, le Vénérable Maître Félix Courbier avait demandé au Grand Orient de France l’autorisation de créer à Montluçon un Souverain Chapitre souché sur la loge. L’installation du Chapitre «Union et Solidarité» a lieu le 16 mars 1901. Le lendemain, la loge tenait sa fête solsticiale.
En 1902, la Loge fait de façon un peu forcée l’acquisition du Temple de la Rue de Versailles pour la somme de 10.000 francs, en raison de la succession du Frère Jacques Guillot, propriétaire, décédé en 1896. 7.000 francs sont couverts par des membres de la loge, et 3.000 francs empruntés au Frère Félix Courbier.
La Loge est à l’origine de la création de la section montluçonnaise de la Libre Pensée le 24 janvier 1903. Sur les 14 membres portés au Procès Verbal figurent le nom des Frères Émile Auclair, Gilbert Beaumon, Louis Duchiez, Gustave Lallot, Antoine Martin, Émile Perrier, Auguste et Jean Picard.
Le 20 mai 1904 la loge émet un vœu : «La Respectable Loge «Union et Solidarité», afin d’assurer la sincérité et la liberté du vote émet le vœu suivant:
1°) Les élections auront lieu au scrutin de liste.
2°) Tous les citoyens âgés de 21 ans sont électeurs et éligibles.
3°) Le vote a lieu sous enveloppe et des isoloirs sont installés dans les salles de vote.
4°) Le vote par correspondance est admis pour les électeurs éloignés de leur domicile électoral.
5°) Les bulletins sont uniformes et imprimés par les soins de l’administration communale».
Ce vœu est porté à la connaissance du Député Maire de Montluçon qui s’en saisit et fait émettre un vote favorable du Parlement; il endossa la paternité de cette avancée démocratique. Ironie du sort, le Député Maire s’appelait Paul Constans. Il venait de quitter la Franc-Maçonnerie avec éclat.
La mort du Frère Félix Courbier en 1907 rendait exigible la somme de 2.000 francs restant due. L’Atelier souhaitait que le Grand Orient de France remplace le Frère Courbier et avance le solde dû. Devant la réponse négative du Grand Orient de France, les Frères décident d'assumer seuls le remboursement par un emprunt hypothécaire.
Lors de la fête solsticiale du 5 juin 1910, le Frère Orateur traçe le compte rendu annuel de l’activité de la Loge. Il rappelle que la dernière fête solsticiale avait eu lieu le 2 mai 1909 dans le salon du Café Riche. Une seule initiation avait été faite, bien que de nombreux profanes aient frappé à la porte du Temple. L’expérience des années précédentes avaient rendu les Frères prudents, leur choix était guidé par l’intérêt maçonnique du profane bien plus que par sa situation sociale ou politique. Le Frère Orateur rappelle que les principes maçonniques essentiels sont:
L’assiduité aux tenues: c’est un devoir impérieux,
La discrétion: c’est la loi maçonnique,
La discipline maçonnique indispensable: c’est la sauvegarde de l’association.
Il évoque le souvenir des Frères Antoine Mounin et Charles Frédéric Forichon, respectivement maires de Doyet et du Montet, passés à l’Orient Éternel. Cinq Frères s’étaient affiliés à d’autres loges, le Frère Ludovic Vellard avait démissionné (Il s’affiliera en fait en 1913 à la Loge «Les Enfants d’Hiram» à Melun).
La loge comprenait 82 membres: 45 Maîtres, 17 Compagnons, 20 Apprentis. La situation financière était excellente bien que sa bourse soit constamment ouverte aux infortunés, et que des travaux importants aient été réalisés dans le Temple en 1909.
Les principales planches connues sont celles du Frère Léon Bonnet sur les loges mixtes, du Frère Ludovic Vellard sur les cérémonies civiles, du Frère Maugard sur le vote des militaires de carrière et sur l’École de Saint-Maixant, du Frère Louis Charles Ferrand sur les concessions minières et le syndicalisme, du Frère Albert Laout sur la recherche de paternité, du Frère Émile Perrier sur les habitations à bon marché, du Frère Eugène Auroy sur la crise de l’apprentissage, du Frère Bavey sur la morale laïque, du Frère Philippe Bardet sur la décentralisation administrative et politique.
Nous sommes loin des préoccupations de 1890. La République était devenue majeure, elle avait accompli son œuvre émancipatrice. Les Frères pouvaient désormais se consacrer à des tâches plus sociales que politiques.
Délaissant les salons du Café Riche, la fête solsticiale de 1911 se déroule dans le Temple rénové qui venait de recevoir l’éclairage. La loge comptait désormais 87 membres.
Les principaux travaux sont ceux du Frère Alexandre Picandet sur les questions coloniales, du Frère Pierre Edmond Léger sur le Code de l’Instruction criminelle, du Frère Léon Bonnet sur l’oligarchie financière et du Frère Joannes Claude Deparie sur la Mutualité et l’Orphelinat Maçonnique.
La loge s’implique aussi, avec la section locale de «la Libre Pensée» créée en 1903 dont faisait partie une petite trentaine de Frères, dans la mise sur pied en1913 du Patronage laïque de Montluçon aux cotés d’Ernest Montusès et de Pierre Diot.
En 1914, l’Aumônier du Lycée Jules Ferry de Montluçon donne aux élèves qui suivaient son cours la composition suivante: «Démontrer que la Franc-Maçonnerie est une société dissolvante de toutes les sociétés». Aussitôt six Frères, enseignant dans ce lycée, font part de leur découverte au Grand Orient de France, en dénonçant l’abbé Perrin qui professait officiellement, et aux gages de l’État, de tels enseignements. Ils demandent au Grand Orient de France de se saisir de cette affaire pour la porter à la connaissance du Frère René Viviani, ministre de l’Instruction Publique, afin qu’il diligente une enquête administrative. Cette affaire est évoquée au Congrès des loges du Centre tenu à Sens le 25 mai 1914.
Nous ne connaissons pas la suite donnée à cette affaire, et les mois qui vont suivre feront place à une actualité plus cruelle qui déstabilisera l’Europe et le monde pendant quatre dures années. La Grande Guerre était à nos portes et l’heure n’était plus au combat anticlérical, mais à celui de la survie de la France.
Plusieurs Francs-maçons de la Loge sont morts pour la France, d’autres sont blessés, gazés ou meurtris.
Le Frère Pierre Antony Lamprière, né le 28 avril 1888 à Farges Allichamps (18), initié le 17 mai 1913, était sous-officier au 115ème RI. Il a été tué par l’ennemi le 28 septembre 1915 au sud de l’Épine de Vedegranges (51) lors de la bataille de Champagne.
Le Frère Louis Armand Moreau, né le 3 avril 1875 à Couleuvre, initié en 1900, était instituteur. Il est décédé de maladie aggravée en service le 26 mars 1918 à Beaulon (03).
Le capitaine Charles Paul Moisy, né le 27 juillet 1882 à Poitiers, initié le 21 octobre 1911. Il est décédé le 29 décembre 1918 à Modenheim à la suite de maladie contractée en service.
Il faut aussi évoquer le fils du premier Vénérable de la loge: Léon Albert Deslinières, né le 12 février 1884 à Moulins, initié en 1906 par la Loge «L’Action Socialiste» à l’Orient de Paris, a été tué le 2 octobre 1916 à Bray sur Somme, lors de la bataille de la Somme.
En 1922, une plaque commémorative fut apposée dans la loge. Elle disparut dans la tourmente de 1940 à 1944.
La loge reçoit en pleine guerre le Congrès des loges du Centre les 8 et 9 avril 1917. Le moral était bas au sein des Armées, les tribunaux militaires faisaient fusiller les soldats qui refusaient de combattre : Pauvres diables d’hommes exténués, écœurés, brisés par trois années de combats inhumains dans les tranchées, sous la pluie, dans la boue, dans la peur, dans l’angoisse, dans la désespérance. Pendant ce temps, quelles préoccupations secouaient les frères du Centre de la France ?
Le premier vœu consiste à maintenir la tenue du convent de 1917 à la date réglementaire.
Le second exprime le souhait de voir la Franc-Maçonnerie réunifiée dès la fin des hostilités, notamment avec les Loges anglaises, mais aussi avec celles des pays ennemis dès qu’ils ouvriront les yeux à la lumière du droit, de la justice et de la liberté, et qu’elles adhéreront à un programme sincère de paix universelle. La fraternité des armes devait se prolonger dans la fraternité maçonnique pour créer une maçonnerie mondiale une et indivisible.
Le troisième énonçe le monopole d’État en matière d’enseignement. Il faut le réformer sur la base de sa gratuité et le coordonner dans les trois ordres (primaire, secondaire et supérieur).
Le quatrième demande l’établissement de l’apprentissage obligatoire sur la base du projet de loi Astier qui deviendrait la charte de l’enseignement professionnel.
Le cinquième concerne la lutte contre l’alcoolisme. Les francs-maçons doivent participer effectivement à la propagande contre l’alcoolisme : en organisant des conférences, en développant l’enseignement antialcoolique et l’éducation domestique et ménagère dans leurs œuvres scolaires et post scolaires, en multipliant les bibliothèques populaires, les foyers du marin et du soldat, en faisant compléter les lois de 1873 et 1880, notamment en élevant l’âge de minorité au dessous duquel il est interdit de servir les liqueurs alcooliques, en étendant l’interdiction aux femmes de tous âges, en limitant le nombre de débits de boissons, en renforçant les pénalités en cas d’infraction à la loi, en interdisant d’annexer des débits de boissons aux bureaux de tabacs, en rachetant les débits de boissons à vendre pour y installer d’autres commerces plus utiles, en supprimant les lois sur le crédit aux débitants de boissons, en supprimant le privilège des bouilleurs de cru sans restriction.
Ainsi, pendant que les soldats au front montaient à l’assaut après avoir bu un quart de gnôle, les francs-maçons rêvaient de voir se développer une lutte contre l’alcoolisme. La Franc-Maçonnerie a pour vocation de ne pas se cantonner dans le présent pour réfléchir aux problèmes du lendemain, en voici un bel exemple, même s’il manque d’un peu de réalisme et de pragmatisme.
Le sixième souhaite ne pas voir rompre l’Union Sacrée, même si les républicains n’étaient pas dupes de l’âpreté des luttes politiques de demain qu’il faudrait mener dès la fin des hostilités.
Le septième demande que soit institué un contrôle aux armées plus efficace par les parlementaires, et qu’à l’instar de ce qui se passait sous la Révolution, ils aient les pleins pouvoirs pour prendre des sanctions en dehors de tout ce qui pourrait être des mouvements militaires à proprement parler.
Le dernier vœu concerne la réforme administrative.