A partir de le première guerre mondiale, les documents manquent pour retracer l’histoire de la Loge «Union et Solidarité». Il ne subsiste plus que quelques planches, fragments dérisoires de la mémoire historique. Parcourons les cependant pour tenter de connaître les convictions des Frères entre les deux guerres mondiales.
Trois planches ont été retrouvées pour la période de 1918 à 1939: Deux portaient sur l’École ou son environnement: « l'école unique » en 1924 et « les œuvres périscolaires » en 1928.
Dans la première, le Frère Kléber Seguin, inspecteur de l’Enseignement Primaire, rappelait que l’École Unique est le slogan d’un groupement d’universitaires combattants de 1914 qui ont créé en 1917 Les Compagnons de l’Université Nouvelle. L’école Unique, c’est la même école pour tous, pas une école à deux vitesses, l’une pour la bourgeoisie, l’autre pour les enfants du peuple. C’est un long plaidoyer pour la suppression des écoles primaires auprès des collèges et lycées, celles-ci, ne recevant que les enfants de la bourgeoisie, leur ouvraient presque automatiquement les portes du secondaire. Il faut, disait-il, détacher ces écoles primaires, et constituer un véritable enseignement primaire gratuit, où tous les enfants se côtoieraient sans restrictions liées au milieu d’origine des parents. Il faudrait aussi multiplier les bourses, même si un effort avait été fait en ce domaine : 400 bourses en 1911, 1.700 en 1921. Ce n’était pas suffisant, il fallait rendre gratuit le secondaire. Enfin, pour ancrer cette réalisation, il fallait instituer le monopole de l’enseignement, ce qui se traduirait par la disparition des écoles confessionnelles et privées.
Dans la seconde le Frère Jean Gabriel, directeur de la Chambre de Commerce, nous apprenait les raisons qui ont conduit les enseignants à créer des œuvres autour de l’École pour aider les élèves et leur famille à fréquenter l’école laïque. Ces œuvres devaient être défendues par les républicains en se rappelant que les catholiques avaient ourdi un véritable complot contre elles, comme le démontre l’article paru dans La Croix du 20 septembre 1918. Il soulignait: «que les catholiques ne s’obstinent plus à maintenir ces écoles libres dont l’entretien exige de leur part des sacrifices de plus en plus lourds, et qui pourraient être mieux employés ailleurs, et qu’ils orientent résolument vers les écoles normales de l’État et vers l’enseignement laïque des sujets destinés à faire de l’enseignement un apostolat. Enrichissons les écoles officielles et, au lieu d’être mauvaises, elles deviendront bonnes au point de remplacer avantageusement les écoles libres».
Quelles étaient donc ces œuvres? D’abord les cantines scolaires qui permettaient de donner aux enfants d’ouvriers un repas adapté à leurs besoins, ce que ne pouvaient faire leurs parents. Mais la cantine était aussi nécessaire aux enfants d’agriculteurs qui résidaient à plusieurs kilomètres de l’École. Ensuite les œuvres des vestiaires chargées de distribuer aux enfants nécessiteux les vêtements qui leur étaient aussi nécessaire que la nourriture. Enfin, celles qui s’occupaient d’éducation: Sociétés d’Éducation Physique, de tir, les patronages, les associations d’anciens élèves, les universités populaires, les garderies de vacances, les colonies de vacances.
Évoquant le sort de ces œuvres à Montluçon, le Frère Gabriel indiquait :«Il est réconfortant de constater que toutes ces œuvres y sont en pleine prospérité. La municipalité, toute dévouée à l’École Laïque et à la classe ouvrière, a créé une cantine qui distribue chaque jour de nombreux repas aux enfants nécessiteux et à ceux dont les parents sont retenus à l’atelier ou à l’usine. Elle a rendu de grands services l’an dernier à l’époque du chômage.
L’œuvre du vestiaire, du patronage laïque grâce aux cotisations de ses membres honoraires, aux subventions de la Ville, de la Loge «Union et Solidarité», du Département, et au produit de la fête annuelle de la Jeunesse, fournit chaque année aux enfants nécessiteux des vêtements chauds pour une somme s’élevant à plusieurs milliers de francs.
Le patronage laïque est en pleine prospérité, malgré la propagande des cléricaux et compte actuellement 1.100 membres actifs, garçons et filles. Cette œuvre fonctionne grâce au dévouement des membres de l’enseignement qui lui consacrent la plus grande partie de leurs loisirs.
L’amicale des anciens élèves de l’École Jules Ferry qui groupe plus de 600 membres, offre chaque année des vêtements, des subventions d’études aux élèves nécessiteux et récompense le travail de tous par une distribution solennelle de prix.
Ces différentes œuvres s’adressent surtout à l’enfance, un de nos frères a voulu prolonger leur action en créant «Athénée» qui, par ses nombreuses sections, groupe aujourd’hui toute l’élite intellectuelle montluçonnaise et qui, peu à peu, attirera à elle ce qu’il y a de meilleur dans la classe populaire».
Il disait que «nous sommes déjà devancés par les cléricaux qui ont 25.000 patronages dont la plupart sont dotés d’un cinéma. Ils disposent de 700 salles de cinéma contrôlées par eux, et dans lesquelles on ne projette que des films religieux fabriqués par la société du film catholique, au capital de 10 millions entièrement versés et qui possède à Paris un studio».
Il fallait que les œuvres périscolaires laïques se développent. Pour cela, ce Frère élaborait un plan en cinq points:
1°) Créer des patronages dans tous les centres importants, et y rattacher les communes voisines où l’on peut trouver des bonnes volontés et des donateurs.
2°) Grouper ces patronages en une fédération départementale ou régionale (ce qui se fera bien plus tard dans l’Allier).
3°) Unir ces fédérations régionales en une vaste Fédération (l’œuvre des Patronages Laïques de France) qui centraliserait les fonds, les moyens d’actions, la documentation et pourrait obtenir de l’industrie des appareils et des films choisis à des prix abordables.
4°) Doter peu à peu chaque patronage d’un vrai cinéma.
5°) Coordonner l’action des patronages voisins par l’échange de conférenciers, de films, de documents, d’acteurs.
Il concluait: «J’ajouterai que quels que soient les efforts déployés, les résultats des œuvres périscolaires seront toujours subordonnés à deux réformes primordiales qu’on laisse actuellement dans l’ombre : l’obligation scolaire effectif et l’organisation de l’éducation post scolaire obligatoire. Le devoir de la Franc-Maçonnerie est de les faire passer dans la réalité».
La dernière planche traitait de l’idéal maçonnique, question conventuelle de 1929. Il s’agit de la participation de la Loge « Union et Solidarité» au Congrès des loges du Centre à Vichy. Le Frère Antoine Debesson en était le rapporteur.
Il n’existe aucun autre document qui permettrait de mieux cerner les personnalités de la loge et les questions qui y furent débattues. Les années 1930 seront riches en péripéties de toutes sortes, elles annonceront la montée irrésistible du fascisme en Italie, en Espagne, et du nazisme en Allemagne. La France est entourée par des nations qui ont nié les valeurs universelles de la Démocratie, qui arrêtent, torturent, martyrisent les hommes qui s’opposent à leur arrivée au pouvoir. Ces temps difficiles où la Dignité de l’Homme n’est plus respectée ne sont pas propices à l’épanouissement de la Franc-Maçonnerie, aussi il est évident que les Frères ont dû débattre de tous ces sujets.