Pendant les années difficiles, quelques Francs-maçons ont certes démérité, d’autres étaient trop âgés ou décédés, mais beaucoup reprirent à la Libération l’œuvre entreprise avec force et vigueur. Sur les 88 Frères de la loge de 1937, 45 retrouvent le chemin des colonnes.
Le 17 septembre 1944, la Loge «Union et Solidarité» ouvre ses travaux sous la présidence du Frère André Boucherat. Le Frère Charles Amblard tient le second maillet, le Frère Charles Migraine le troisième. Les Frères Jacques Bruand, Claude Magne, Alexandre Hay remplissent respectivement les fonctions d’orateur, trésorier et secrétaire.
Sont présents les Frères Attilio Cadoni, Gilbert Couty, Jean Picard, Pierre Moret, Pascal François de Laume, Claude Bouillot, Joseph Fleury, Louis Charles Ferrand, André Broussaud, Jean Dabot, Jean Chabridon, Georges Charles Rouet, Léon Martin, Alphonse Martin, Louis Panetto, Prunet, Albert Lobbé, Louis Moine, Jean Michel Clément, Charles Boileau.
Sont excusés les Frères François Dumont, Eugène Morgan, Armand Gourbeix, Bernard Mairal, Fernand Émile Aimé Barbey (père), Fernand Jacques Barbey (fils) et Michel Vierzon qui, en raison de sa surdité complète, sera excusé pour toutes les réunions.
Sont présents les Frères visiteurs: Saadia de Reims, Jamet de Paris, Fabre et Jean Nègre de Bordeaux (ce dernier, affilié en 1944 à la Loge «Union et Solidarité», deviendra Maire de Montluçon de 1959 à 1971).
Le Frère président exprime tout d’abord le plaisir que tout le monde éprouvait à se retrouver dans son local, et il félicite quelques Frères pour leur activité maçonnique au cours des événements passés.
L’ordre du jour appelle l’élection du bureau définitif. Le président André Boucherat demande à l’Atelier de surseoir à cette élection, les travaux actuels étant «chargés et urgents». La proposition est adoptée à l’unanimité.
Quels étaient donc ces travaux urgents ? Le premier consistait à réagir contre une tendance cherchant à innocenter le Maréchal Pétain. Le Frère président souligne le rôle néfaste joué par le Maréchal avant, pendant et après l’armistice. Il demande aux Frères de rechercher, lire, relire et diffuser «Maréchal nous voila», un numéro du «Populaire» (mai-juin 1942): « La trahison de l’armistice », « La saison des Juges ». Le Frère Albert Lobbé ajoute: «Paradoxes sur la guerre homicide d’Isaac». La discussion s’engage, et le Frère Jamet de Paris présente des observations très précises sur le rôle joué par le Docteur Ménestrel auprès du Maréchal et sur la dualité Pétain-Laval et Laval-Déat-Doriot au sujet de la milice.
Le second travail est proposé par le Frère Jean Dabot qui voudrait que l’on définisse exactement ce que l’on entend par «avoir collaboré». Le Frère Claude Magne demanda des renseignements sur les organismes nouveaux, il s’inquiéte du recrutement en masse des milices patriotiques. Le Frère président propose que les fonctions électives ne soient confiées dans l’avenir qu’à des citoyens n’ayant jamais collaboré ni avec Vichy, ni avec l’ennemi. Ce vœu est adopté à l’unanimité. Cette motion est présentée à René Ribière, président du Comité départemental de Libération au nom de la loge maçonnique en précisant: «Voilà ce que nous voulons».
Les travaux sont clos au nom de «Vive la République». Cette acclamation est toujours d’actualité au sein des loges montluçonnaises du Grand Orient de France.
Mais imaginons un instant l’émotion de ces Frères, quant au bout de quatre longues années, le maillet a frappé, burinant la table des travaux inachevés. Quatre années de silence symbolique au creux de ces vieux murs. Quatre années de souffrances et de mort pour des Frères, de reniements pour d’autres. Ce maillet battant aux plateaux des trois lumières de la loge rythmait la vie qui renaissait entre les colonnes et dont l’objectif est résumé dans la déclaration en loge du 12 novembre 1944 du Frère Albert Fossey, alias François, de la Loge «Les Préjugés Vaincus» de Guéret, et commandant de l’Armée Secrète de la Creuse: «Je dis ici tout mon espoir dans la libération rapide et définitive de tout le territoire français, et aussi tout mon espoir de voir enfin revivre une ère de prospérité et de paix que la Franc-Maçonnerie doit préparer, d’accord avec tous les vrais républicains».
Les premières difficultés surgissent avec les locaux. Écoutons les propos du Frère Alexandre HAY: « Il fallait tout d’abord reprendre possession de nos biens meubles et immeubles. Notre local de la rue d’Alembert propriété de la société immobilière «Union et Solidarité», mis sous séquestre depuis l’interdiction et les persécutions du gouvernement Pétain, avait été occupé par un groupement artisanal. Quelle ironie, mes frères, de nous voir remplacés par des artisans! La maçonnerie n’a-t-elle pas son origine même chez l’artisan et la plupart pour ne pas dire tous de nos emblèmes ne sont-ils donc point outils de compagnons et de maîtres? Mais si autrefois ces compagnons et ces maîtres furent de bons frères maçons nos successeurs de la rue d’Alembert ne furent pas intéressants. Nous ne retrouvions qu’une faible partie du mobilier dans un local servant de dépôt de marchandises, une installation d’éclairage complètement disparue, et des gens voulant bien partir, mais seulement, prétendaient-ils, lorsqu’ils auraient trouvé de nouveaux logements pour leurs produits et leurs bureaux. Il fallut se fâcher quelque peu!».
Comme ils se l’étaient promis, les Frères travaillent avec ardeur à la restauration des institutions républicaines. En fait, l’atelier devient le lieu de concertation et de construction par rapport à des situations concrètes de la société nouvelle.
Engagés comme ils l’étaient dans l’activité de la cité qui leur servaient de «banc d’essai», les Frères maçons, transformés en groupe «d’autorité morale», bâtirent en référence aux principes de l’Ordre un système démocratique fiable pour l’avenir, en excluant toute autre forme de travail, et notamment la réflexion symbolique visant à la modification du comportement intime de chacun. Leur a-t-elle parue souhaitable, cette remise en cause permanente des Frères de cette époque, quand la réalisation qu’on s’est fixée n’est qu’à peine ébauchée ? En ces temps d’urgence, la réflexion de fond qui est distanciation, s’est effacée devant l’action. Le 4 mai 1945, une brève gravure sur le livre d’architecture présente le symbolisme «comme un véritable langage international». Mais ce n’est que cinq mois plus tard qu'est présenté le premier travail symbolique dans une optique entièrement pragmatique puisque le compte rendu de la Tenue précise: «Si des adversaires cherchent à nous ridiculiser, il faut réagir et bien connaître et comprendre l’utilité et l’importance du symbolisme». Cette activité était ressentie à l’époque comme un luxe injustifié.