Le renouveau et la période faste de la République
Quatre années plus tard, le 14 avril 1845, le Frère Donjan-Bernachez est réélu Vénérable avec onze voix sur douze votants et reprend donc avec contentement la direction de la Loge. Les effectifs proviennent de l’Allier, de Saône-et-Loire (Autun et Bourbon-Lancy), de Nevers et un de Clermont-Ferrand. Pour son renouveau elle obtient de nouvelles Constitutions du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Sa qualité est reconnue par l’octroi de Lettres capitulaires le 15 juin 1846 et l’installation d’un Chapitre le 8 janvier 1847 lui attribue l’habilitation à délivrer le 18ème degré, Chevalier Rose-Coix. Le Trés Sage de ce Chapitre est le Frère Fonfrède, maçon depuis quarante ans, et exerçant la profession de conservateur des hypothèques.
Louis-Joseph Alary, à la fois professeur et journaliste, davantage journaliste que professeur et le meilleur témoin de son temps, considère la Loge « peu nombreuse mais très active ». Elle apparaît s'être orientée vers des actions philanthropiques. Plusieurs des siens avaient contribué à créer la Société pour l'extinction de la mendicité en 1840-42, et la Caisse de secours mutuels pour les ouvriers de la ville de Moulins en 1843. Elle met à l'ordre du jour de ses travaux, en 1846, « Sociétés philanthropiques et rôle de la Franc-Maçonnerie ».
II convient cependant de nuancer l'esprit de ces élans. Par exemple, en juillet 1845, le Frère Joubert, chevalier Rose-Croix et capitaine retraité, adresse au Grand 0rient de France une lettre attristée par la déception d'avoir vu refuser l'entrée du Temple, à un Franc-maçon visiteur venu d'une Loge de Paris, le Frère Jamet, ancien sergent, sous prétexte que celui-ci était de condition
servile : balayeur des rues! Lorsqu'il veut s'en expliquer oralement, le tumulte se déchaîne; il ne peut poursuivre, la parole lui ayant été retirée, et il quitte l'Atelier.
Cinq mois plus tard, le dentiste Bournichon est radié, comme étant « d'un état servile nettement déconsidéré dans l'ordre social » , sans qu'il n’est précisé qu'il s'agissait de l'art dentaire!
L'un et l'autre tentent de façonner une nouvelle Loge qui prendrait le nom de « L 'Humanité », déjà retenu par d'autres promoteurs. Bournichon procède à des initiations, délivre des Diplômes ; ils réussissent à former un groupe composé de démocrates et d’élitistes. Mais cette aventure ne peut se prolonger longtemps ; Joubert était trop discipliné pour demeurer dans la dissidence. C'est lui-même que le Grand Orient de France charge d'y mettre un terme, dissolvant la Loge « L 'Humanité », avec interdiction à tous ses membres de poursuivre des activités maçonniques jusqu'à nouvel ordre. Bournichon continue seul, mais quand il vient à résipiscence, sollicitant sa réintégration on ne lui répond pas et on n’entendit plus parler de lui.
La Loge entretient alors des relations extérieures : elle corresponde avec des Loges d’Algérie ; elle reçoit, en mars 1847, un Frère visiteur de l’orient de Charlestone ; elle installe à Nevers, en juillet 1847, la Loge « L’Humanité ».
La deuxième République allait être pour « Paix et Union » une période relativement faste. Après l’euphorie des premières semaines, l’opinion se divise en deux tendances : les progressistes et les conservateurs partisans de « l’ordre social » face au « péril rouge ».
Le 22 décembre 1848, les Frères travaillent sur la « manière dont la Maçonnerie doit être comprise au dehors, surtout au moment où de fausses doctrines voudraient saper les bases sur lesquelles repose la société ».
Pour faire face à cette année difficile, le vénéralat est confié à un moulinois récent, Hippolyte-Louis Durand, architecte parisien venu s’établir afin de diriger la construction de la salle des fêtes. Dans le courant 1849, il s’installe dans le sud-ouest de la France où il est chargé, entre-autres, de la construction de la villa de l'Impératrice à Biarritz et de la basilique de Lourdes, laissant ainsi à Donjan-Bernachez sa place antérieure.
La Loge était devenue une sorte de structure où affluent légitimistes, orléanistes, bonapartistes évoquant leurs inquiétudes pour fortifier leur résolution. Il faut accélérer le rythme des initiations, jusqu'à deux ou trois « tenues» mensuelles, à partir de juin 1848. Jamais encore l'on n'avait vu autant de noms aristocratiques ou y prétendant, en un tel milieu: Anatole de Champfeu, Charles de Bourbon-Chalus, Roy de l'Ecluse, Calixte de Chavagnac, de La Rifaudière, de Mora, Amable-Charles Sesrays, Ladislas de Chavagnac, Louis de Larminat, de Lapanouze, Charles Cadier de Veauce, Eugène-Joseph de Montlaur, Léonce de Bonnefoy, Vilhardin de Marcellange, Max des Lignèries, Léopold de Conny, Louis de Barthelat, Gustave de Rochefort, Le Lorgne d'Ideville, Abel de Saultrait, Anatole de Rubelles.
Mais la bourgeoisie n’était pas en reste: le banquier Barthélemy Coste, le notaire Gilbert Saulnier, les architectes Esmonnot et Lassus, le journaliste Alary, l'imprimeur Auguste Desrosiers, l'avocat Jules Saulnier, l'ancien conseiller d'état Faye de Bris, l'Agent-Voyer en chef Chauvet.
Le recrutement déborde les limites moulinoises avec un notaire, un pharmacien, un propriétaire et un maître d'hôtel de Cusset ; un rentier et un serrurier de Gannat, un propriétaire de Montluçon, un propriétaire de Bourbon l'Archambault, un autre et un huissier de Saint-Gérand-Ie-Puy, un descendant du Conventionnel Beauchamp à Saint-Léon, un autre du Député « ultra» de Conny sous la Restauration, à Créchy ; plus trois de Bourbon-Lancy, deux du Canton de Jaligny.
D'une trentaine de membres à la fin de la Monarchie de Juillet, l’effectif était passé à près d'une centaine lorsque prit fin la République. Parmi tout ce monde: six conseillers généraux: Arloing (Cusset), Delan (Le Montet), Deschamps de Verneix (Hérisson), Donjan-Bernachez (Dompierre), Meilheurat (Lapalisse), Vilhardin de Marcellange (Cérilly) ; quatre conseillers d'arrondissement: de Barthelat (Le Montet), de Champfeu (Moulins-Ouest), Clayeux-Desgouttes (Jaligny), Martin-Lagardette (Lapalisse). L'ensemble de la pensée conservatrice, de la fidélité légitimiste à une République présidentielle, s'y trouvait réunie dans la commune pensée de « l'ordre ».